L’orgue de Notre Dame

C’est en 1573 que furent élevés la tribune, le buffet et l’orgue de Nicolas Dabenet. L’année de construction nous est donnée par le buffet lui-même qui arbore ce millésime sur un cartouche au devant de la tribune. Quant au nom de Nicolas Dabenet, il nous est rapporté par trois inscriptions laissées au XVIIe siècle par Guillaume Lesselie dans l’un des soufflets de l’orgue

« Ces Orgues ont esté faictes par maitre Nicolas Dabeneste et est enterré de soubz les Orgues.
Lanée 1611 Guillaume Lesselie facteur d’orgues demeurant pour lors a la ville de Rouen et natif dabredine releva ces dites Orgues et les mist en bon ordre et fist un cornet par augmentation. L’année mil six cents quarante et un ledict Lesselie la démonsta et changea les souflets qui levoient avec des cordes et poulies et les fist lever avec des Bascules en changea tous les portes vents. Faict le 8eme d’octobre 1641, alors estoient Thresoriers monsr Du Val et monsr Dumoulin. »

[signé :] « Lesselie »1

Du magnifique buffet il ne nous reste que la somptueuse façade, légèrement remaniée, ainsi que la tribune dont les panneaux s’inspirent d’un cycle d’allégories du graveur Etienne Delaune, édité à Paris en 1569. Ces panneaux sont dans un certain désordre et ne correspondent pas systématiquement à l’allégorie qui leur est attribuée. Nous ne pouvons ici entrer dans une analyse détaillée du buffet, et nous invitons le lecteur intéressé à se reporter à un de nos articles.2

On ne sait finalement qu’assez peu de choses des caractéristiques techniques de l’instrument durant les deux premiers siècles de son existence, et il nous faut attendre sa reconstruction par Jean-Baptiste Nicolas Lefebvre pour avoir quelques détails. C’est entre 1761 et 1764 que l’orgue est remis au goût du jour par ce célèbre organier rouennais.3 Un document très intéressant nous donne la composition de cet orgue, telle qu’elle se trouvait encore en 1862 4 :

I. Positif (52 notes sans 1er ut #) : Bourdon 8, Bourdon ou flûte 8 (dessus), Prestant 4, Nazard 2’2/3, Doublette 2, Tierce 1’3/5, Larigot 1’1/3, Fourniture III, Cymbale IV, Cromorne 8, Voix humaine 8

II. Grand Orgue (52 notes sans 1er ut #) : Montre 16, Montre 8, Bourdon 8, Prestant 4, Fourniture III, Cymbale IV, Cornet V (de 29 notes), 1ère Trompette 8, 2ème Trompette 8, Clairon 4

III. Récit (dessus de 29 notes) : Cornet V, Hautbois 8

Pédale (29 marches sans 1er ut #) : Flûte 8, Flûte 4, Bombarde 16, Trompette 8, Clairon 4

L’orgue de Lefebvre est relativement peu entretenu durant le XIXe siècle, puis des travaux du porche de l’église obligèrent son démontage total en 1862. Les morceaux du vieil orgue et de son buffet séculaire restèrent ainsi à croupir en divers endroits durant trois décennies avant que ne soit décidé son rétablissement. Après un premier devis de Cavaillé-Coll, resté sans suite, prévoyant la restauration du Lefebvre, c’est un projet de construction d’un orgue neuf, toujours de Cavaillé-Coll, qui fut favorablement accueilli par la fabrique en 1889. Voici la composition de cet instrument qui sera inauguré en 1892 et qui n’a pas été modifiée depuis :

I. Grand Orgue (56 notes) : Montre 16, Bourdon 16, Montre 8, Bourdon 8, Flûte harmonique 8, Prestant 4, Quinte 2’2/3, Doublette 2, Cornet V (dessus), Basson 16, Trompette 8, Clairon 4

II. Récit expressif (56 notes) : Cor de nuit 8, Viole de gambe 8, Voix céleste 8, Flûte octaviante 4, Octavin 2, Trompette 8, Basson-hautbois 8, Voix humaine 8

Pédale (30 marches) : Contrebasse 16, Soubasse 16, Flûte 8, Bombarde 16

Commodités : Appel jeux de Pédale (anciennement Orage), Tirasse GO, Tirasse Récit, G.O. / Barker, Récit / Barker, Octave grave G.O. / G.O., Pédale d’expression Récit, Appel Anches Pédale, Appel Anches G. O., Appel Anches Récit, Tremolo Récit

Tous les éléments de cet orgue symphonique sont disposés de façon très heureuse, Cavaillé-Coll ayant bénéficié d’un espace plus que suffisant derrière le buffet (52 mètres carrés au sol) pour placer les 24 jeux de l’instrument. Les grandes longueurs de tracés mécaniques ont contraint le facteur à doter son orgue de deux machines pneumatiques (une par clavier) et de prévoir une transmission pneumatique tubulaire pour le pédalier. Le mécanisme de la boite expressive est, lui aussi, assisté pneumatiquement par un système unique en son genre. Il est composé de deux petits soufflets, l’un près de la console, l’autre sur la boite expressive. Ceux-ci sont reliés ensemble par l’intermédiaire d’un long tube rigide d’une dizaine de mètres. En actionnant la pédale, l’organiste comprime (ou décomprime) le premier soufflet qui se vide de son air par le tube. Le second soufflet est alors censé se gonfler (ou se dégonfler) et transmettre ainsi le mouvement aux jalousies de la boîte. Malheureusement, l’air est un gaz compressible, et sur une telle distance, force est de constater que les mouvements des deux soufflets ne se transmettent que très faiblement. Ces deux systèmes pneumatiques (pédale et expression du récit) sont probablement le fruit des expériences menées en la matière par Gabriel Cavaillé-Coll, au sein des ateliers de l’avenue du Maine. Signalons pour finir sur ce point que Gabriel, en très mauvais termes avec son père, s’installa à son compte en 1892 avant l’achèvement de l’orgue des Andelys. A cette occasion, Aristide mènera son fils devant les tribunaux pour avoir utilisé le nom de Cavaillé-Coll de façon commerciale, au lieu d’un simple Cavaillé.5 C’est dans une pièce de la tour sud que Cavaillé-Coll a choisi d’installer la soufflerie primaire. Elle est constituée de deux grands réservoirs alimentés à l’origine par deux paires de pompes. Cet ensemble est aujourd’hui dans le plus déplorable abandon. L’orgue est donc alimenté, depuis déjà trop longtemps, par un petit réservoir à table flottante. A l’intérieur de l’instrument, sous les différents sommiers, se trouvent les réservoirs secondaires, qui servent à réguler les pressions. Nous trouvons ainsi deux réservoirs pour la pédale (90 mm de pression), un réservoir pour le récit (100 mm de pression), et trois réservoirs pour le grand-orgue (100 mm de pression dans les basses, et 110 mm dans les dessus). Il est intéressant de remarquer que, contrairement à ce que prévoyait le devis, Cavaillé-Coll n’a pas réutilisé la tuyauterie de Lefebvre, exception faite de quelques tuyaux de bourdons en bois. Cependant, la tuyauterie présente est de très bonne facture et d’un métal très riche. Quant aux diapasons utilisés par Cavaillé-Coll, ils sont en général très homogènes et se correspondent entre les jeux de hauteur différente d’une même famille (diapason A pour les principaux, E3 pour la trompette et le clairon du G.O.)

Ce bel instrument, a été classé Monument Historique en mars 1993. Si son matériel sonore est resté relativement intact, il faut reconnaître que la restauration entreprise par la maison Pleyel en 1950 a fragilisé l’instrument. L’instrument est malgré tout maintenu en état de jeu grâce au talent du facteur d’orgues Denis Lacorre qui est chargé de son entretien (entreprise DLFO).

Fabien Desseaux.


1. Ces inscriptions, retrouvées en 1862, semblent avoir été perdues. Deux dans l’incendie de l’Hôtel de Ville de 1940, la troisième fut la propriété d’un collectionneur andelysien anonyme au XIXe siècle, nous ne savons pas ce qu’elle est devenue depuis.
2. F. Desseaux : Etude de trois buffets d’orgues haut-normands du XVIe siècle, in L’orgue, n° 261, édité par l’Association des Amis de l’Orgue, Paris, 2003, p. 3 à 60.
3. Cette information nous est révélée par les écussons des deux premiers tuyaux de l’ancienne montre de 16, qui sont conservés et cloués sur le soubassement moderne du buffet.
4. A. Cavaillé-Coll : Etat actuel de l’orgue de l’église Notre-Dame des Andelys, archives de la paroisse des Andelys, manuscrit non côté, 1862.
5. M. Jurine : La liquidation judiciaire d’Aristide Cavaillé-Coll, in La Flûte Harmonique, n° 51/52, édité par l’Association Aristide Cavaillé-Coll, Paris, 1989, p. 6 et 7.

Portfolio

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09 la montre de 16 pieds
photo Fabien Desseaux